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Culte des Eaux

UNE FORME RÉGIONALE DU CULTE DES EAUX :

LES MARIETTES DU THIMERAIS

Article paru dans le N°17 ( Décembre 1964) d"HISTOIRE LOCALE  BEAUCE et PERCHE" 

Revue d'histoire locale autrefois publiée par la Coopérative Scolaire des Elèves-Maîtres
de l'Ecole Normale d'Instituteurs d'Eure et Loir, 1 rue du 14 juillet à Chartres (28)

 
 
 

 

 

     L 'expression « culte des eaux », d'usage courant chez les folkloristes est cependant peu satisfaisante car elle ne correspond qu'imparfaitement à la réalité. En effet, il n'y a jamais eu de religion ni de culte unique attaché aux eaux vives mais des croyances diverses, des manifestations et des rites qui varient d'un point à l'autre. Et Van Gennep, le grand maître du folklore français, le rappelle de façon opportune quand il parle du « prétendu culte des eaux » (1) Malgré cela, il n'en reste pas moins que ce terme, compris par tout le monde,est d'un emploi facile. Aussi., comme tant d'autres, nous le conserverons. Les rites qu'il englobe ou dissimule s'appliquaient à des sources, à des rivières, à des lacs, voire à la mer.

 

     A côté de ces cas parfaitement classiques, nous avons décelé une forme non encore signalée, spéciale à une contrée sans fontaines ni ruisseaux puisqu'il s'agit des plateaux du Thimerais et de la plaine de Saint-André. Dans ces régions sèches, les points d'eau habituels sont remplacés tant bien que mal par des mares de grandeur variable. Auprès de ces dernières, à l'époque actuelle encore, on trouve parfois un oratoire ou une petite chapelle que les gens du lieu appellent une Mariette. Peut-être y a-t-il à l'origine de ce vocable un véritable jeu de mots, Mariette étant à la fois un diminutif de Marie et un dérivé de mare ? on pourrait objecter que ces sanctuaires n'abritent pas toujours une statuette de la vierge de mare? C'est exact, mais d'après des auteurs qualifiés (Hodée, Guillot de Saix), celle-ci était de règle dans un passé plus lointain. Dans quelques endroits une simple croix semble remplacer l'oratoire.

 

    Du point de vue architectural, ces Mariettes se montrent d'une extrême simplicité. Elles sont constituées par un bloc de maçonnerie (pierres et briques) plus ou moins élevé (2m à 2,50m), à section et faces rectangulaires, creusé d'une niche, couronné d'un petit toit à deux versants et couvert de tuiles du pays. Certains de ces édifices sont relativement récents ; les plus vieux paraissent dater du XVIle siècle. Mais il n'est pas douteux que les uns et les autres ont remplacé des constructions plus anciennes.

 

    Voici la série de Mariettes que nous avons pu relever vers 1950 et qui subsistent sans doute encore... parfois dans un état lamentable.

 

1) Mariette de la Gâtine, commune de Saint-Rémy-sur-Avre. Cet oratoire, situé au centre du village, est, attenant au mur de la mare et voisin du chemin des Caves. La niche abrite une statuette de Sainte Barbe, en bois, de facture ancienne et qui devait être polychrome

 

2) Mariette de la Poterie, commune de Saint-Lubin-des-Joncherets. On la trouve à l'angle de deux rues du village, face à la mare des Terriers. Elle est de forme élancée, élégante, mais dans un état de vétusté inquiétant. Au-dessus de la niche, une pierre porte la date 1760. Au-dessous, une autre pierre calcaire présentant une inscription de six lignes qui, malheureusement, était déjà illisible au début du siècle. La statuette de la niche a été brisée vers 1890 ; il s'agissait de la Vierge.

 

3) Mariette de la Villedieu, commune de Laons. - Ce modeste monument, dédié à Saint-Antoine, est situé à côté d'une mare et à quelques mètres du chemin qui relie le village à la route de Laons à Neufville. Il est adossé au pilier d'une ancienne porte cochère. Au point de vue architectural, il diffère de ses congénères, car, au-dessus de la niche, on voit une tablette monolithe avec un joli rinceau ancien, malheureusement détérioré à une date récente. La statuaire appartient à l'art populaire ; polychrome à l'origine, elle a été fâcheusement repeinte vers 1944.

 

4)- Mariette de la Saucelle. - Cet oratoire, l'un des plus humbles et aussi des plus attrayants de la série, se trouve en face de l'église dont il est séparé par la rue du village. Une mare se montre à quelques mètres en arriére, dans le pré voisin. A son sujet, de Boisvillette nous apprend que «bouchée en 93, la fontaine a été rouverte depuis; chapelle et source sont aujourd'hui (1864) rétablies en possession de leur passé » (2). Cette Mariette est dédiée à Sainte Agnès, certains disent à Sainte Anne.

 

5) Chapelle de Saint-Léonard, commune de Saint-Maixme. -Ici, nous sommes en présence d'une véritable chapelle, modeste d'ailleurs. Elle s'élève au bord méridional de la mare, et celle-ci, de l'autre côté, est longée par la rue du village. Une vieille petite porte, ouverte dans le mur nord de la chapelle, permettait au clergé d'aller directement au point d'eau. Elle est semblable à celle que l'on voit à l'église des Ressuintes sur le côté nord du chœur; en direction de la source sacrée voisine.

 

6) Croix près d'une mare. - On peut noter une telle association à Mainterne, vers l'entrée de l'agglomération, au bord de la route de Blévy et à Boutry (commune de Fontaine Les-Rîbouts) où la croix est érigée près de la mare au centre du village. Peut-être faudrait-il signaler également la croix de la Ville-aux-Nonains, située au bord du chemin des Haies-Neuves, la mare étant dans le pré en face?

 

7) - Mariette de Brezolles - Celle-ci n'était pas solidaire d'une mare mais d'un puits. Dédiée à Notre-Dame des Sept Douleurs, elle se dresse à l'entrée de la rue Malpeigne (Mala poena?) contre la maison voisine. Exactement au pied, se trouve un puits maintenant obstrué par une dalle circulaire en pierre. Des pièces métalliques scellées dans la façade de l'oratoire devaient supporter un treuil ou une pompe ; leurs traces rappellent la relation qui existait, dans le passé, avec le point d'eau (3).

 

8) - Mariettes des régions voisines. - Nous ne connaissons pas de mariette véritable dans le pays drouais. Par contre, il en existe plusieurs dans le sud de l'Evrecin. Nous ne pouvons que les signaler rapidement.

- Mariette de la Madeleine-de-Nonancourt. - Statuette de Sainte Anne dans une niche exiguë aménagée dans le mur d'une maison en face de la mare.

- Mariette de Tivoli, commune de Marcilly-la-Campagne. -Oratoire à l'angle des deux rues du village. La statuette de la vierge a été détruite à une époque récente et la mare desséchée est en partie comblée.

- Mariette de Droisy, à l’angle de la route de Nonancourt et du chemin des Puits. -Dédiée à la Vierge, mare presque comblée de l'autre côté du chemin.

- Mariette de Chinquin, commune de Dammarie. - Au bord sud de la route de Breteuil à Nonancourt, ancienne voie romaine. -La mare est à quelques mètres dans le pré voisin. Dédiée à la Vierge. Signalons qu'à Dammarie même, l'église est proche de deux mares.

- Enfin, dans le Mantois, on trouve la Mariette de la Belle-Côte, commune de Boissy-Mauvoisin. - La mare et l'oratoire existaient encore après la première guerre, à l'angle de la rue principale et du chemin de Boissy. Le point d'eau a d'abord été supprimé en 1930, puis, en 1950, l'ancien oratoire, cependant fort intéressant, a été remplacé par un nouvel édifice... en ciment! Il est dédié à Saint-Pierre.

Dans la même région, on peut rencontrer des croix associées à des mares, à Perdreauville, Saint-Illiers-la-Ville, le Mesnil-Guyon, la Villeneuve-en-Chevrie.

 

FOLKLORE.

 

      Disons d'abord que, dans le Thimerais, on donne parfois le nom de Mariette à des oratoires qui n'ont jamais été en rapport avec une mare ; c'est un simple abus de langage. De façon plus légitime, dans le Perche, région plus humide, on applique le même terme à des monuments associes à des fontaines (4).

 

      Rapports de l'oratoire et de la mare. - Comme les mares et les oratoires se rencontrent parfois isolément dans des carrefours, on pourrait penser que le fait de les découvrir ensemble dans de tels endroits ne prouve pas qu'il y ait un rapport quelconque entre les deux. C'est possible ; cependant nous avons plusieurs exemples où la mare et l'oratoire sont en dehors d'un croisement de chemins. Il en est ainsi à la Gâtine, à la Villedieu, à la Madeleine de Nonancourt, à la Saucelle. Mieux encore, en ce dernier endroit, non seulement la minuscule chapelle n'est pas au niveau d'un carrefour mais elle est toute proche de l'église ; cela prouve qu'on a voulu avoir, à quelques mètres de distance, deux lieux de culte dont l'un est associé au point d’eau. Ailleurs, l'examen du site laisse une impression semblable.

 

     Traditions. – Vraisemblablement, dans le passé, il a existé des rites et manifestations pour chacune de ces Mariettes. Dans la plupart des cas leur souvenir même est évanoui. Seule la notion du pouvoir attribué à quelques saints persiste parfois : ainsi Saint-Antoine aurait la faculté de faire retrouver les objets perdus et Sainte-Barbe celle de protéger contre la grêle, le feu, l'orage.

Comme rite véritable, nous n'en connaissons qu'un et il se rapporte à la Mariette de la Gâtine. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, tous les ans aux Rogations, une procession partait de l'église de Saint-Rémy et, par un vieux chemin vert, se dirigeait vers l'oratoire. En cours de route, elle s'arrêtait à un calvaire (Friche-Mignon). Au terme du voyage, on récitait quelques prières à Sainte Barbe, puis les assistants allaient se restaurer soit à l'auberge du village, soit près de la mare où un marchand de gâteaux s'installait pour la circonstance. Peut-être dans la même tradition, à Saint-Léonard, avant la guerre de 1914-1918, une procession avait lieu, le 6 novembre, sur la place voisine.

 

     Passage du culte des sources à celui des Manettes. - En certains points, à côté de l'oratoire on trouve une mare qui, visiblement, n'a jamais été autre chose. Il en est ainsi à la Gâtine, Saint-Léonard, La Madeleine-de-Nonancourt, Tivoli, Chinquin, la Belle-Côte. Mais, dans d'autres lieux, Si l'on prend soin d'étudier la topographie et la géologie du site, on devine rapidement que la mare, située vers la partie supérieure d'un vallon sec, a été autrefois une source. Du fait du dessèchement progressif de notre région, la nappe d'eau est devenue de plus en plus faible et profonde, et les habitants, en creusant le sol, ont remplacé leur fontaine par une mare. Ce processus, très ancien, semble évident à la Poterie, à Droisy et même à la Villedicu. D'ailleurs, dans ces endroits, pendant les années humides, un filet d'eau reparaît dans le vallon sec. Cette transformation est historique à la Saucelle où la source a disparu seulement vers la fin du XVIIIè siècle ; aujourd'hui, à côté de l'oratoire, on trouve une mare... et une pompe. Ainsi s'établit un chaînon entre le culte des eaux classique et celui des Mariettes.

 

      Les plus vieilles Mariettes. - Si des rites appliqués à des mares ont bien existé comme nous le pensons, on devrait en retrouver des traces aux antiques périodes. On en a découvert, en effet, et en restant sur les plateaux de notre voisinage. Aux Baux-Sainte-Croix, près d' Evreux, un fanum gallo-romain, fouillé en 1825, se trouve à côté de la mare des Argillières, très connue dans le pays. Dans cette mare, on a découvert un grand nombre de figurines (Vénus anadyomène) qui paraissent bien être les témoins d'un culte antique (5). Un peu plus au Nord, dans la forêt de Rouvray (près de Rouen), en 1903, Léon de Vesly a exploré un autre fanum de la même époque, également associé à une mare (6).

 

    Mariettes atyptiques. Mariettes disparues. - En certains endroits, avons-nous dit, la mare a été comblée tandis que l'oratoire était conservé. On est alors en présence d'une Manette atyptique. C'est le cas à la Belle-Côte depuis 1930. En d'autres lieux, il n'est pas téméraire de penser que la transformation s'est opérée à une date assez lointaine pour que le souvenir en soit évanoui, et l'oratoire continue à être appelé Mariette. Au contraire, on comprend que la petite chapelle ait pu être rasée alors que la mare existe toujours. Enfin, ailleurs, les deux ont disparu à tout jamais. A titre d'exemple, rappelons ce que Merlet dit à propos du Mesnil-Thomas : « le mardi 12 de juin 1736, a été posée la première pierre de la chapelle de la Vierge, vulgo appelée la Mariette, sur le territoire de la fabrique... » (7) Tout ceci est totalement oublié.

 

       Cet exposé semble nous autoriser à dire que d'anciens rites appliqués à des mares ont existé dans le Thimerais, comme en d'autres régions il s'en trouve pour des fontaines ou des rivières. Ces manifestations d'ordre folklorique, et dont il reste bien peu de choses, nous sont révélées d'abord par l'idée populaire des Mariettes et par la présence, en quelques points, d'un oratoire manifestement associé à une mare.

      Cette tradition parait localisée aux régions sèches où l'on trouve de tels points d'eau, en particulier sur les plateaux d'argile à silex du Thimerais et de l'Evrecin.

     Enfin, il serait indiqué, pensons-nous, de conserver les quelques Mariettes qui subsistent encore. Ce sont d'authentiques témoins d'un passé très lointain et elles constituent une des curiosités de la contrée dont nous venons de parler.

                                                                                                                    HENRI CHAPRON.

 

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE.

 

(1) Van Gennep. Manuel de Folklore français, t. III, p. 526.

(2) De Boisvillette. Statistique archéologique d'Eure-et-Loir. p. XCIII.

(3) Saint-Yves. Corpus du folklore des eaux, passim.. et de Boisvillette, loc. cit. p. XCIII

(4) Chapiseau. Folklore de la Beauce et du Perche, t. I, p. 69.

(5) Chédevil1e. Bull de la société normande d'études préhistoriques, 1907, p. 74.

(6) De Vesly. Bull. de la Société normande d’études préhistoriques, 1902, p. 139, et 1903, p. 131.

(7) Merlet. Inventaire des Archives civiles, supplément de la série E, arrondissement de Dreux, p. 462.

 
 
 

  Page introduction

 
 

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