Defrichement

Les traces des feux de bûcherons et la progression des défrichements

 
 

La mise à nu du sol au cours des défrichements a consisté à abattre les grands arbres, à déraciner les souches et à les brûler avec les menus branches, les arbustes et les plantes herbacées arrachées ou coupées au ras du sol. Au fur et à mesure de la progression des bûcherons, tous les débris dont la décomposition risquait d'être lente dans le sol ont été ainsi brûlés, tas par tas. Il est résulté de ces foyers temporaires des tas de cendres et de particules charbonneuses que le premier labour a mélangé à la couche superficielle du sol. Au cours du temps, les minéraux solubles des cendres ont été entraînés en profondeur par les eaux d’infiltration ou en surface par les eaux de ruissellement alors que les particules charbonneuses imputrescibles et insolubles sont restées sur place. Broyées finement par les travaux du sol, trop légères pour être entraînées par les outils agricoles, elles ont coloré le sol à jamais ; chaque foyer a ainsi été marqué par une tache noire « indélébile » que l'on voit réapparaître quand le sol est mis à nu. Ces tâches noires aux contours irréguliers, généralement de deux à trois mètres de diamètre sont bien visibles, par temps sec, sur les parcelles préparées pour les semailles. La vision globale que l’on peut avoir du paysage en le survolant en avion, à quelques centaines de mètres d'altitude, permet de retracer les contours de zones à grande densité de taches qui ne sont autres, on le devine, que des zones anciennement boisées défrichées selon le processus que l'on vient de rappeler

On peut penser que, dans des sociétés primitives du passé, par comparaison avec ce qui se fait dans celles qui existent encore aujourd’hui, sociétés dans lesquelles les outils de coupe ont été limités, les hommes ont pu se débarrasser des espèces arbustives et herbacées par un brûlage continu, en période sèche, pour mettre le sol à nu. Les incendies de forêts allumés par la foudre ont pu inciter à procéder ainsi dès les temps préhistoriques. Dans ce cas les particules charbonneuses très dispersées et vite dissimulées dans l'humus n’ont pas modifié sensiblement la couleur du sol.

Les clichés que nous avons réalisés lors de prospections aériennes sur le territoire du canton de Brezolles, au moment des semailles, nous ont permis, compte tenu de ce qui vient d’être dit, de reconstituer quelques grands ensembles végétaux qui ont disparu devant le travail des défricheurs ; Ces résultats analysés en lien avec ce que nous savons par les recherches archéologiques et les études d'archives permettent de mieux connaître les grandes lignes de l'évolution du paysage au cours des âges.

 
 

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La grande majorité des zones à taches charbonneuses nombreuses se situent à la périphérie des grands bois actuels (Bois des Brouillets, Bois des Vallées, Bois des Fontaines) un massif forestier bien compact s'étendait au nord du territoire actuel de la commune de Prudemanche jusqu’à la vallée de la Meuvette mais aussi au nord-ouest du village de St-Lubin-de-Cravant. Le bois des Brouillets et tous les bois au nord de la ligne Brezolles - Nonancourt ne sont que des lambeaux d'une immense forêt qui s'étendait de Brezolles à Dampiene-sur-Avre jusqu'à la vallée de l'Avre. Les traces des foyers de bucherons nous permettent de dire que si cette grande forêt fut, comme on l'a vu, déjà entamée à l'époque néolithique c'est dans les périodes historiques allant du haut moyen âge au siècle dernier qu'elle fut surtout démantelée.

Les sites où la présence gauloise et gallo-romaine est bien établie par des vestiges archéologiques il n'y a pas trace de foyers de bûcherons. Il en est ainsi dans l’environnement immédiat et lointain de l’établissement gallo-romain du Petit-Chêne près Brezolles et du vicus (village) gallo-romain de Beauche mais aussi sur les sites d'Angennes, de Romainvilliers, de Vitray et tout au long des voies romaines qui traversent le canton. Les défrichements ont-ils été faits par brulis continus ou les traces charbonneuses se sont-elles effacées avec le temps ? Nous n'avons aucun moyen de trancher entre ces deux hypothèses

 
 

Il faut souligner que dans la grande campagne ouverte de Laons - Mainterne - Vitray - Crucey, les traces de foyers de bûcherons sont extrêmement rares. La mise en valeur des sols pourrait donc être très ancienne. Cependant, sur le territoire de Fessanvilliers-Mattanvilliers et plus particulièrement près de Beauvilliers, les taches sont nombreuses. Si on se réfère à la toponymie, la création de ces villages remonte à l'époque mérovingienne et les défrichements seraient contemporains de ces fondations tardives ; on en déduit que certaines traces de foyers peuvent donc être encore visibles, au moins, depuis cette époque.

 
 

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Pourtant il faut être prudent dans l'analyse des clichés car des terres peuvent avoir été longtemps abandonnées après un premier défrichement et une reconquête du sol avoir nécessité une seconde opération de déboisement avec la destruction des débris végétaux par le feu. Nous avons l'exemple indéniable d'un tel défrichement secondaire sur le territoire de la commune de Chàtaincourt, à Neuville-les-bois : sur l'aire d'une motte castrale qui a été nivelée, à une date que l'on ignore, mais dont l’existence nous est confirmée par la photographie aérienne et des microreliefs encore visibles, de nombreuses taches de foyers apparaissent ainsi que dans l’environnement immédiat. Sans aucun doute, après l'abandon du site, la végétation spontanée a reconquis le territoire pendant une période assez longue pour que des espèces ligneuses s'installent mais, un jour, il n'a pas paru impossible, au propriétaire des lieux, de remettre ces terres en culture et le défrichement s'est fait selon la manière la plus commune.

Enfin il ne faut pas oublier que les défricheurs du XXe siècle ont laissé, eux aussi, des traces de foyers, traces qui ne se distinguent pas des plus anciennes mais les plans cadastraux levés au XIXe siècle ainsi que les cartes dites « d'état-major « au 1 : 80000e, permettent par comparaison avec les cartes actuelles de l'Institut Géographique National au 1 : 25000e, de situer, sans difficulté, les parcelles boisées qui ont disparu au cours des dernières décennies

 
 

Les derniers défrichements

Au cours des remembrements nécessités par la mécanisation des travaux agricoles et par une certaine rationalisation des exploitations, en vue d'une meilleure productivité, beaucoup de bosquets et de haies vives ont été rasés mais, fort heureusement, la nécessité de protéger les équilibres naturels a fait naître une législation limitant les déboisements. Aujourd'hui, certains bosquets de faible superficie pourraient encore disparaître mais les bois d'au moins quatre hectares sont devenus intouchables. On sait par ailleurs, que la surproduction agricole a contraint les cultivateurs à mettre certaines terres en jachère temporairement, pour réduire les superficies productives. Aussi, il semble bien que, dans la situation actuelle de l’économie agricole, on ne cherche plus à étendre les espaces cultivés mais plutôt, là où c'est nécessaire à les réduire au profit d'aménagements urbains, de zones de loisirs ou d'activités industrielles, tout en conservant les espaces naturels. Les défrichements sont donc, semble-t-il, définitivement terminés

Regis Dodin

 
 
 

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